Les Chroniques de l'Imaginaire

Le cahier à spirale - Tronchet, Didier

Après Le Chanteur perdu et L'Année fantôme, Didier Tronchet conclut sa trilogie introspective armé d’un Cahier à spirale pour faire définitivement tomber les masques. Mais comment reconstituer son histoire familiale quand celle-ci s’est construite sur des silences et des non-dits ?

En examinant les divers récits qu’il a produits au cours de ces dernières décennies, Didier Tronchet exorcise (enfin et pour de bon) les fantômes de son passé, travestis sous la forme d’avatars, de personnages idéalisés ou caricaturés.

Sans crier gare, tout lui devient soudain plus clair : la fiction faisait écran, son vécu n’était qu’un vulgaire fromage, une histoire à trous qu’il a comblés, comme il a pu, autant par goût du jeu que par peur du vide. 

Mais la mascarade semble avoir assez duré et a fini par atteindre ses limites. Pour sortir de la spirale familiale du malheur, il décide de partir à la rencontre de ce personnage qu’il a mille fois mis en scène, jusqu’à ne plus discerner lui-même le vrai du faux, cette personne dont il sait qu’elle détient forcément la vérité : sa mère.

En replongeant dans ses souvenirs autant que dans ses précédents albums, Didier Tronchet nous partage ce face à face maternel, un peu brouillon, dont les échanges ne suivent pas de véritable ligne conductrice mais offrent une immersion dans l’intimité de l’auteur en levant le voile sur des années de mensonges afin de recoller les morceaux de cette famille fragmentée.

On retrouve dans ce dernier opus l’humour, la dérision et la pudeur caractéristiques à l’humanité folle, sensible et touchante que j’aime tant chez Tronchet. Seulement, cette fois, j’ai eu plus de mal à m’accrocher à la lecture en raison de cette impression d’être ballotée au fil des pages et parfois ensevelie sous le flot d’anecdotes, de souvenirs, de liens et de réflexions qui surgissent sans prévenir dans la psyché de l’auteur.

Les dessins, bien que toujours aussi vifs et colorés, suivent cette tendance et partent encore plus dans tous les sens afin de récupérer des révélations que l’on perçoit presque comme miraculées et qui témoignent de l’urgence à les restituer pour se (re)construire et cicatriser les plaies causées par la transmission transgénérationnelle des traumatismes et des secrets.

L’éditeur croqué, qui garde un œil sur ce projet un peu fantasque, nous prévient par moments du risque (si ce n’est du danger) de se perdre dans ce voyage au bout de soi-même dont en effet on ne revient encore une fois pas indemne ! 

Bien que difficile à suivre, ce roman graphique décalé mais quelque peu maladroit porte un regard sur nos propres failles et propose un travail de mémoire sincère et authentique dont l’amour et la dignité ne peuvent laisser indifférent.