Voilà longtemps que Louise Fowley, la fille-feu, la vive-louve, la "Petite Sale", ne s’était pas enfoncée sur la 385, unique route qui rattache Val Grégoire, petite ville au nord du nord de la forêt boréale, au reste du monde.
C’est là, perdue au milieu des épinettes noires qui s’élèvent en monceaux jusqu’à bloquer l’accès au ciel, qu’elle a passé son enfance avec Marco Desfossés, dernier de la lignée du despote local, et le mystérieux mais non moins clairvoyant Laurence Calvette.
Ensemble, ils formaient un trio improbable et incandescent, prêt à tous les mauvais coups pour tuer l’ennui et échapper à la providence. Jusqu’à l’événement dramatique de l’été 1991 qui viendra imploser leur amitié et expédier les adolescents sur des chemins séparés.
Aujourd’hui, vengeance en bandoulière, Louise est prête à relancer les dés, racheter ce qui peut l’être et obtenir réparation là où on n’attend plus rien d’autre si ce n’est que les journées passent.
Bon... Je crois que j’ai une faille : le Canada et plus particulièrement l’Est de cet immense territoire. Ça fait maintenant plusieurs livres que je dévore en variant les genres (SF, nature writing, polar, roman, BD) et, à ma grande surprise, j’ai chaque fois la même sensation : celle d’un plaisir immense de retrouver ces lieux, qu’importe les temporalités.
J’aime l’imaginaire né des légendes des premiers habitants, l’histoire des vagues de peuplements, la lutte entre coutumes et modernité, ces modes de vie, ces saisons, ces personnages bruts de décoffrage, pas forcément loin de tout chichis, mais avec des caractères hauts en couleurs et des récits aux vies tout en reliefs (ça doit être l’accent et les expressions grivoises particulièrement imagées) !
Sans parler de cette nature hors norme (ou du moins différente de celle dont j’ai l’habitude) qui fait sa loi et ensevelit facilement tout ce qui dérange sous un manteau de neige ou au fond d’un lac, dans des filets de pêche, sous les chutes d’une cascade, sous la glace ou bien tapi dans les tréfonds de bois qui s’étendent au-delà même des frontières. Bref, vous l’aurez compris : du Canada je ne me lasse pas.
Un grand bruit de catastrophe n’échappe donc pas à la règle et décroche la palme du coup de cœur avec ce drame social particulièrement réaliste et brillamment raconté par Nicolas Delisle-L’Heureux dont je vous mets au défi de ne pas apprécier l’écriture ou le rythme tant il réussit à alterner douceur et cruauté, simplicité et poésie, humour et désespoir.
Les destins qu’il nous rapporte sont particulièrement amochés par la vie, dès leurs plus jeunes âges (on ne peut absolument pas ici parler de tendre enfance) et très rapidement condamnés à une routine morne et apathique, sans réelle ambition ni perspective d’avenir dans une ville anarchique, aux âmes grises gangrenées par la pauvreté.
Pourtant, on s’attache à ces maudites familles, à ces trois gamins qui rêvent d’aventure au-delà de cette communauté isolée et délimitée par une rivière, des montagnes et des forêts qui semblent davantage les écraser pour ne pas leur laisser une once de liberté.
Et au-delà de l’aspect tragique qui lient secrètement les protagonistes à travers des événements dramatiques et traumatisants, on se prend à rêver d’une fin heureuse, d’un côté revanchard de la vie, telle une bouffée d’oxygène après une longue bataille en apnée. Une histoire d’amitié traversée de désir et de fureur, rebelle comme la vie et difficile à lâcher qui m'a évoqué un subtil et léger mélange d'un peu de Twin Peaks, Délivrance et Virgin Suicides.