Les Chroniques de l'Imaginaire

Diane Arbus : photographier les invisibles - Wilmet, Aurélie

Née en 1923 à New York, Diane Arbus était une photographe qui a commencé sa carrière dans le milieu de la mode. Elle et son mari Allan ont tous deux monté un studio mais, rapidement, la jeune femme s'est mise à éprouver de la lassitude face aux poses scénarisées des mannequins. Ce qu'elle voulait, c'était capter la vraie vie. Saisir la réalité des vrais gens. La réalité des marginaux et des laissés pour compte. Pour les montrer à la face du monde pour ce qu'ils sont, avec l'humanité dans leurs yeux, sans les préjugés de la bonne société qui voudrait ne pas les voir.

Ses modèles étaient des personnes qu'elle arrêtait dans la rue, au gré de l'inspiration. Ce pouvait être des individus lambda mais son intérêt se portait surtout sur les travestis, les "bêtes de foire" tels que le géant Eddie Carmel qu'elle a immortalisé avec ses parents, les physiques atypiques, les handicapés mentaux... En suivant son parcours, une célèbre phrase de Michel Audiard vient à l'esprit : "Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière". C'est ce que Diane Arbus avait su percevoir et qu'elle s'attachait à montrer dans ses photographies.

Son parcours professionnel est le fil conducteur de la biographie mais derrière l'artiste il y a la femme, à qui Aurélie Wilmet a su donner corps dans toute sa complexité. Diane Arbus était une femme libre dans sa vision artistique mais elle ne s'écartait pour autant pas totalement des conventions dans sa vie privée. On la voit avec Alex, son meilleur ami, avec qui elle entretenait une relation qui menaçait de basculer à tout moment. Elle était mariée à Allan mais leur relation fusionnelle cimentée par un profond attachement n'était pas suffisante pour en faire une union heureuse. Un amant tendre et attentif lui a apporté des moments de douceur, quand il n'était pas au chevet de son épouse adorée. Sa vie sentimentale était un écheveau confus dessiné par très peu d'hommes, qui ont eu une grande importance dans sa vie.
Elle a aussi eu de bonnes et proches amies, des oreilles attentives dans les moments importants ou difficiles. Sans avoir vécu de tragédie, une certaine tristesse planait sur son existence. La vie de Diane Arbus a eu globalement un goût d'inabouti, comme s'il manquait toujours la cerise sur le gâteau.

Il se dégage d'ailleurs des planches une mélancolie qui collait à la peau de l'artiste. Les traits vaporeux lui confèrent une personnalité mouvante, qui se laisse entraîner par le courant sans parvenir à maîtriser totalement les clefs de son destin. Une vie traversée de doutes, de tâtonnements. Là où elle était le mieux finalement, c'était derrière son appareil photo, qu'elle pouvait utiliser des heures durant. Là, elle se savait à sa place.

Si la photographe est méconnue du grand public, elle a toutefois laissé son empreinte en proposant des clichés qu'on n'attendait pas. Elle a ainsi interrogé les usages de la photographie en allant chercher l'atypique, l'étrange, le dérangeant. Diane Arbus a permis à des individus dissimulés de sortir de l'ombre et a sans doute contribué à les intégrer dans un paysage humain cosmopolite.

C'est un album sensible et très doux, joliment illustré, bien que parfois manquant de lisibilité avec des personnages aux traits interchangeables. Une introduction réussie à la vie et à l’œuvre de Diane Arbus, qui donnera au lecteur l'envie de partir à la découverte des clichés de la photographe. On se rendra alors compte comme Aurélie Wilmet a su viser juste.