Un hymne à l'enfance blessée, l'enfance terminée trop vite pour deux petites filles juive et tsigane à la fin de la seconde guerre mondiale, qui essaient de survivre dans les rues éventrées de Budapest. Un refuge leur est offert par pur hasard dans le zoo de la grande ville, elles s'y installent, aidées de temps en temps par Dimitru, un soldat ukrainien qui leur apporte son expérience auprès des animaux sauvages.
Sheindel et Izeta ont tout perdu, leur maison, leur papa, leur maman, leurs frères et sœurs, mais les souvenirs restent et blessent, ils les hantent. Tout est terminé à jamais. Alors, elles vont de l'avant car il faut rester debout malgré les obus, le froid, et la milice qui rôde.
Incroyablement captivante, cette histoire nous laisse sans voix. C'est beau, c'est poignant, et de voir ces deux petites filles se débrouiller seules, la peur au ventre ne fait que rajouter de l'attirance et de l'empathie à ce roman. En même temps, c'est peut-être leur innocence qui les sauve. Elles n'ont pas peur des animaux qui restent, une certaine confiance s'installe entre les deux camps, les deux ont besoin des uns et des autres. Qui tisserait un lien avec des hyènes ? Qui apprivoiserait un tigreau ?
Comme la connexion avec les animaux, l'auteur Jean Hatzfel démontre ici le lien fort entres les fillettes. Elles se sont trouvées, chacune apporte sa pierre à l'édifice dans ce monde chaotique et guerrier. Elles ne peuvent qu'avancer ensemble. Mais c'est à l'heure où l'Europe de l'est commence à se libérer sous une violence indescriptible, que le destin choisira la voie de chacune.
La seconde partie correspond mieux au titre du livre. Les années ont passé, plus de quarante ans, les filles ont probablement grandi, mais les bombes résonnent encore dans l'est européen : Sarajevo, au début des années quatre-vingt dix, est embourbée dans cette violence où les femmes laissent leur dignité. Ce roman n'est pas une belle histoire touchante sur deux petites filles essayant de s'en sortir, c'est aussi le récit qui démontre que les années passent, que les hommes ne tirent pas de leçon des grandes guerres, que la violence de l'être humain n'a plus de limites. Que des lignées de familles disparaissent, leurs cultures, leurs histoires, leurs nationalités, leurs identités et leurs traditions.
C'est aussi le fait de constater qu'animal comme humain, nous avons besoin de chacun pour survivre ensemble. Ces animaux du zoo abandonné ont fait confiance aux deux petites héroïnes, comme elles se sont fait confiance et comme elles ont fait confiance à Dimitru.
Les années ont passé. Sheindel tente de retrouver Izeta. Elle tente de retrouver quoi, ou qui au fond ? Sheindel est devenue une femme forte et libre, qui a voyagé de pays en pays pour trouver un refuge, qui a voulu se construire sans passé, et s'est consacrée aux animaux dans toutes les missions pour lesquelles elle a travaillé et travaille encore.
Cette histoire non romancée, car elle dit les choses vraies, nous apprend les femmes au milieu des guerres, celles qui engendrent les bons et les mauvais soldats, les oubliées dans les ruines, celles qui se battent jusqu'au bout, et ces filles qui deviennent à leur tour des combattantes car elles auront vu les horreurs de la guerre dans leurs yeux d'enfants.