À Jéricho, on fait les choses à l'ancienne : les hommes travaillent aux champs, les femmes restent à la maison pour s'occuper des enfants. On croit en Dieu et on se méfie de la technologie, surtout de tous ces gadgets produits par les impies bien nommés de Profane Industries. C'est comme ça que ça se passe et c'est comme ça que ça se passera toujours.
Un soir d'hiver, par hasard, derrière une grange, quelques jeunes filles font une drôle de découverte. On dirait une dame, mais elle est tout en métal, et elle n'a pas de jambe : sans doute un rebut de chez Profane. Les jeunes filles décident de la garder et de s'occuper d'elle, de lui apprendre à chanter des hymnes et à réciter la Bible. Mais tôt ou tard, il faudra bien que leurs parents l'apprennent. Que décideront-ils ? Et que se passera-t-il si les gens de Profane décident de venir la récupérer ?
Fin et percutant, voilà comment on pourrait résumer Hard Mary en deux mots. Bien qu'elle se soit fait connaître avec le massif Un étranger en Olondre, Sofia Samatar est tout aussi à l'aise dans le format court et parvient à donner vie à ses personnages et au monde qui les entoure en l'espace d'une poignée de mots soigneusement choisis, sans pour autant s'appesantir sur des détails superflus comme la date à laquelle se déroule le récit. Elle dépeint finement la société de Jéricho et l'étroitesse d'esprit de ses habitants sans pour autant se laisser aller à une critique en bloc de la religion ou, à l'inverse, de la technophilie avancée de Profane Industries, alors qu'il aurait été facile de tomber dans un schéma manichéen. Ici, tout est en nuances de gris, comme c'était déjà le cas dans Olondre.
Autre signe de finesse, la plume de Sofia Samatar reste d'une précision frappante tout en faisant la part belle aux non-dits et aux sous-entendus. Beaucoup de choses échappent à la narratrice et d'autres se déroulent hors de sa présence, mais c'est aussi un moyen de montrer son évolution au fil du temps et la manière dont l'arrivée de Mary, sans aller jusqu'à changer sa vie, a planté dans son esprit une graine de doute. Le récit aurait pu être raconté du point de vue de son amie bricoleuse, un peu mal vue des autres habitants de Jéricho, qui prend le robot sous son aile et se montre le personnage le plus actif, mais son iconoclasme transparaît plus clairement vu de l'extérieur.
Les thèmes auxquels s'attaque Hard Mary, de la tentation du technosolutionnisme aux effets délétères du patriarcat, sont diablement d'actualité. Si l'autrice préfère (comme elle l'explique dans l'entretien proposé en postface) offrir une fin ouverte que des solutions toute faites, cela ne fait que rendre ce livre plus pertinent en le rendant source de questionnements pertinents.