Les Chroniques de l'Imaginaire

Calamity Jane, un homme comme les autres - Niogret, Justine

Il y a longtemps que Calamity Jane ne connaît plus d'elle-même que le récit qu'elle a débité en d'innombrables occasions devant des publics anonymes. Et il y a des soirs où c'est encore trop parlant, et où seul l'alcool à haute dose parvient à faire taire les voix de son passé. Au début, elle ne sait pas qui lui pose des questions, qui est ce Khamsa VéNazar, qui ne la juge pas mais ne lui passe aucun mensonge.

Dans un voyage halluciné qui lui fait revivre des étapes de sa vie aventureuse, en passant par l'armée et les maisons de plaisir, Calamity peut prendre le luxe de s'arrêter, de se ressourcer suffisamment pour affronter ses pires souvenirs.

Justine Niogret fait partie de ces auteurs et autrices qui surprennent à chaque parution, tout en restant rigoureusement fidèles à elleux-mêmes et à un style personnel, immédiatement reconnaissable. Ainsi, on retrouvera dans ce nouveau roman un personnage de femme virulente et cabossée, version moderne de Chien du Heaume : il n'y a guère que l'avancée technologique militaire qui sépare ces deux figures de mercenaires perdues.

Elle nous grave un portrait de femme profondément ambivalente, souhaitant à la fois se fondre dans un collectif, appartenir, devenir "un homme comme les autres", et en même temps faire entendre sa propre voix, quoique celle-ci soit distordue par les mots et les mensonges d'un autre. Calamity Jane avance plus masquée que Zorro, et il faudra tout un travail d'apprivoisement pour arriver à ce que peu à peu émerge l'origine de ses visages successifs.

On arrive à ce résultat par l'intermédiaire de dialogues post-mortem entre Calamity Jane et un personnage surnaturel qui se présente comme "l'adversaire" mais fait office à la fois de psycho-pompe, de peseur d'âme et de psychothérapeute. Honnêtement, il m'a paru tenir davantage de l'artifice d'écrivain que d'un personnage à part entière, et je n'ai pas réussi à m'y intéresser. Si peu d'ailleurs que je n'ai pas jugé pertinent de classer l'ouvrage en fantastique.

Il n'empêche que ce qui me reste de cette lecture, c'est le personnage profondément touchant de Calamity Jane, entre mythe et réalité, à la fois emblême de son temps et d'un moment bien précis de la Conquête de l'Ouest, et une femme empêchée d'exister en sa vérité, corsetée qu'elle était par les conventions et les attentes de son époque. Ajoutez à cela le style à la fois précis et flamboyant de l'autrice française, et vous n'hésiterez pas à plonger dans ce texte aussi atypique que son héroïne.