C'est par hasard que Tsukiko retrouve son professeur de japonais au lycée, dans le troquet où elle a ses habitudes et dîne régulièrement, seule. Si elle n'a pas remarqué l'homme âgé qui mange là souvent aussi, au comptoir, lui se rappelle d'elle. C'est lorsqu'il s'adresse pour la première fois à Tsukiko qu'elle remet son visage. Oui, son professeur, bien sûr ! Elle se souvient maintenant.
Sans jamais fixer de rendez-vous, une habitude s'installe. Chacun vient quand il veut, sachant à peu près à quelle heure l’autre sera là ; ils boivent leur saké côte-à-côte, grignotent des plats savoureux, discutent de tout et de rien. Chacun paie sa part, chacun repart de son côté. C’est une entente douce et naturelle. Au fil du temps, leur relation se fait plus chaleureuse et ils se plaisent à aller aller boire ou manger un verre ailleurs, à faire des sorties ensemble. Une proximité s'ancre davantage et les voilà comme deux amis qui ne se quittent plus, elle qui l'appelle "Maître" et lui qui l'appelle Tsukiko.
Cette relation platonique, respectueuse et posée n'est pas sans remous. Car Tsukiko commence à se poser des questions. Ce qu'elle ressent n'est-il vraiment qu'un sentiment d'attachement profond ou est-ce devenu de l'amour ? A mesure que le temps passe, elle perçoit que leur relation a pris un autre sens pour elle. Mais en tant que femme discrète, réfléchie et indépendante, elle ne sait que faire de ce qu'elle a compris. Le Maître ressent-il la même chose ? Cette donnée inconnue offre une tension amoureuse toujours sur le fil, très douce et poétique. C’est plein de délicatesse, sans sentimentalisme.
Comme on pouvait s'y attendre, Jirô Taniguchi s'est magnifiquement emparé du très beau roman éponyme de Hiromi Kawamaki paru en 2000 au Japon (2003 en France). On y retrouve cette même tendresse amplifiée par les regards et gestes des deux protagonistes. La beauté des décors, d'une minutie merveilleuse, la culture japonaise mise en images (les plats, les fêtes, les rues...) nous plongent véritablement dans un cocon de douceur dépaysant. Avec son talent et sa poésie habituels, le mangaka nous propose une adaptation qui amplifie la pureté et l'élégance du roman. Un récit qui fait l'éloge de la pudeur et du temps long, des sentiments profonds qui ne s'exhibent pas mais se cultivent un jour à la fois.
Le roman était superbe mais il faut bien l'admettre, l'adaptation de Jirô Taniguchi le magnifie. Une fois commencé impossible de lever le nez. C'est sublime.