Les Chroniques de l'Imaginaire

Là où naissent les glaces - Krug, Jean

C'est l'été austral, Otto Nordenskjöld et ses compagnons d'hivernage attendent d'un jour à l'autre l'arrivée de l'Antarctic, qui doit les rapatrier. Leur exploration de la partie de l'Antarctique où ils ont été déposés a donné des fruits scientifiques importants : ils ont une meilleure connaissance des limites entre terres émergées et océan, ils ont prélevé de multiples échantillons végétaux et minéraux, et leurs observations météorologiques ont également été collationnées précieusement. Même si certains échantillons ont disparu dans une crevasse avec le traîneau qui les portait, c'est une belle moisson.

De son côté, le capitaine Larsen est satisfait de son hivernage en Amérique du Sud, qui lui a permis de repérer de nouvelles éventuelles zones de pêche à la baleine, et de remplir des bidons d'huile de cétacé. En revanche, malgré son expérience du climat antarctique et des difficultés qui lui sont liées, il joue de malchance, contré systématiquement par la glace à chacune de ses tentatives pour rejoindre l'île Snow Hill, et l'expédition. Même les trois hommes qu'il a déposés le plus près possible, à Hope Bay, dans l'espoir qu'ils pourraient aller à pied à Snow Hill en apportant des provisions et des nouvelles, se trouvent isolés quand il se trouve dans l'incapacité de les rejoindre.

Ce roman historique basé sur des faits et des personnages réels se déroule au tout début du XXe siècle, et j'ai apprécié les notes de fin de chapitre qui précisaient les éléments qui sont toujours en usage, par exemple. Je les aurais appréciées davantage si j'avais pu m'y référer au cours de ma lecture, mais cliquer sur le numéro de la note ne m'envoyait pas au corps de celle-ci sur ma liseuse, malheureusement. Au moins ce petit bug m'aura-t'il fait travailler la mémoire ! Dans la série des inconvénients de la lecture au format électronique, je n'ai pu véritablement apprécier les cartes, et les différences entre elles, que sur l'écran de mon ordinateur, mais c'est systématiquement le cas. Je l'ai néanmoins regretté en l'occurrence, car c'était vraiment une excellente idée de les inclure étant donné que cela permet de constater de grosses différences, et les imprécisions de départ.

Le courage et la passion de ces hommes de science, ou matelots, déterminés à repousser les bornes de la connaissance humaine en ce qui concerne l'Antarctique sont dignes d'admiration. J'ai toutefois beaucoup aimé le soin que prend l'auteur de ce roman d'évoquer combien les motivations de leur choix de participer à une telle expédition, dont ils connaissaient à l'avance les dangers, pouvaient être diverses. La variété desdites motivations, mises en relief par des personnages attachants, rend la lecture fascinante, comme le fait de mesurer le changement qui s'opère en eux au cours de cette mission bien plus longue que prévu. Par ailleurs, le gabier Ole Olanssen nous aide à mesurer le fossé qui existait encore à l'époque entre les hommes de la marine à voile et ceux des bateaux à moteur (vapeur, en l'occurrence), dont l'histoire est incomparablement plus courte.

L'auteur sait évidemment de quoi il parle, et son style rend bien toute l'ambivalence d'un univers glacé, mortel, mais qui pour certains humains est enivrant, sans doute aussi par les révélations qu'il apporte. Il souligne sans insister les changements qui ont eu lieu en l'espace de cent vingt ans seulement, et qui permettent aux touristes d'aujourd'hui d'arpenter l'île Paulet, où ont failli désespérer les marins de l'Antarctic. Il évoque aussi habilement, tant dans le cours du roman que dans une postface informative très bien faite, l'ambivalence des gouvernements - suédois dans ce cas - quant à l'exploration polaire, financée par des intérêts privés, mais "récupérée" ensuite pour servir la gloire des gouvernements qui avaient refusé de la monter eux-mêmes.

En somme, une lecture à la fois plaisante et informative, que je ne peux que recommander... oserais-je dire "chaudement" ?