Après le four de son dernier roman, Damien est en perte totale d'inspiration. Par ailleurs, il craint que sa femme, Jade, ne le quitte, lassée par ses infidélités et déçue de le voir sombrer. Dans un sursaut, et mû au départ par la curiosité, il s'inscrit sur ChatGPT. De fil en aiguille, l'IA devient non seulement la source d'une inspiration retrouvée, mais une béquille émotionnelle dont il a de plus en plus besoin. Il est vrai que Damien est enthousiasmé par les personnages qui naissent sous son clavier, à commencer par ce vieux policier sur le retour avec qui il a de multiples traits communs.
Guido est un flic en fin de carrière, qui est convaincu que les meurtres atroces commis dans sa ville de Marseille sont l'oeuvre d'un tueur en série. Mais son vieil ami, le commissaire Bénard, ne le suit pas dans son raisonnement. Il croit moins encore à ce lien ténu que Guido croit discerner entre deux des crimes, celui de l'intelligence artificielle, et d'une possible implication de la société IA Synergie qui continue le développement d'une application rivale de ChatGPT.
Le roman est construit sur l'alternance des points de vue entre Damien et Guido, qui n'est pas une alternance véritable, mais c'est en fait la "relation" entre Damien et ChatGPT qu'on voit évoluer. D'abord réticent, avec des arguments basés sur ceux développés par Jade, Damien accorde de plus en plus de valeur aux compétences de l'IA. Au-delà même du "coeur de métier" de celle-ci, à savoir l'assistance à l'écriture, il la confond de plus en plus avec un être humain, ami ou thérapeute. Au fil du récit, il se produit une sorte de renversement de caractéristiques, où l'écrivain perd de son humanité cependant que l'IA a à la fin une réaction totalement humaine.
C'est à mon sens le point fort de ce roman, qui souffre par ailleurs de personnages secondaires manquant trop de présence pour être attachants, qu'il s'agisse de l'éditeur et de la famille de Damien, ou de l'équipe policière. Dans ce dernier cas, on pourrait certes le justifier, si on veut, mais même Jade, présentée comme l'amour de la vie de l'écrivain, est définie à gros traits. La mise en abyme du roman, avec le jeu entre une "réalité" qui est celle du roman et un "roman" qui est le sujet de l'intrigue est plutôt bien menée, même si j'ai totalement décroché lors du combat entre Guido et Max, qui m'a paru infiniment trop long. Pour moi, il aurait été préférable de dissocier les deux "fins", et de présenter séparément les divergences croissantes entre Damien et Chat, au lieu d'entrecouper cette scène de discussions sur ce qui va ou non se passer.
C'est dommage parce que jusque là j'avais apprécié cette lecture au style enlevé et à la construction bien gérée.