En ce tout début de XXVe siècle, la Terre est rongée de conflits arbitrés par les Casques-Gris, et elle est dirigée depuis la Lune, par la Secrétaire Générale des Nations Unies, Aggun Sun. C'est sur la Lune que l'on construit Apollo, le vaisseau monde qui emportera vers une planète de Proxima du Centaure le noyau d'une future colonie, l'avenir d'une humanité épuisée, dévitalisée par ses divisions internes. Les ouvriers de l'alvéole treize sont tous suspects après l'attentat-suicide perpétré par Recha, leur contremaître. Cette mort, Tearii, le Tahitien ancien Casque-Gris, ne peut pas l'accepter : pour lui, Recha était comme une soeur. Aussi se laisse-t'il convaincre de rejoindre les Faces Cachées, pour la cause desquels Recha est morte, même s'il ne s'entend pas avec Rawiri, l'ouvrier qui a remplacé Recha comme contremaître.
Il ne sera pas le seul : son nouveau partenaire de soudure, un Inuit qui se présente sous le nom de Mimili-Kha et en qui Tearii reconnaît un autre vétéran, participe lui aussi à une action terroriste. Les deux hommes, en travaillant ensemble, apprennent à se connaître, mais Tearii a des doutes sur son partenaire. Ils diffèrent également dans leur opinion d'Apollo, que Tearii voit comme une chance de partir, d'essayer autre chose ailleurs, mais dont Mimili-Kha affirme que c'est un miroir aux alouettes. Il devrait pourtant être davantage convaincu de l'importance vitale du vaisseau monde, puisque sa compagne n'est autre qu'Enez Sun, destinée à en prendre le commandement. Mais quand cette dernière arrivera sur la Lune, lui sera déjà mort.
Ce roman a ceci d'original que l'on assiste à la préparation frénétique du vaisseau monde destiné à emporter un embryon d'humanité vers les étoiles, et non au voyage lui-même. Par ailleurs, les personnages sont variés, crédibles et attachants, et appartiennent à d'autres groupes ethniques que le caucasien habituel sans que cela paraisse artificiel. La peinture d'une Terre toujours ravagée par les conflits et divisée entre cultures, sinon même ethnies, si inconciliables qu'elles restent séparées même sur la Lune, est assez désespérante, mais cela ne la rend pas moins plausible pour autant. L'intrigue politique est touffue, et les motivations des différents groupes ou personnages paraissent parfois opaques, d'autant que certains de ces derniers semblent simplement se délecter de la possibilité de déchaîner leurs capacités de violence.
J'avoue n'avoir pas été fan de la touche de fantastique apportée par l'auteur, qui m'a paru une facilité plus qu'autre chose. D'autre part, la résilience physique des personnages, si elle est justifiée par leur appartenance passée aux Casques Gris, a aussi dépassé mes capacités de suspension d'incrédulité.
Malgré ces légers bémols, j'ai pris plaisir à cette lecture haletante, à l'alternance de points de vue bien gérée. L'atmosphère lourde, où le désespoir imprègne toutes les couches de la société, sous une forme ou une autre, imprègne l'histoire, et semble pour le coup parfaitement justifiée par la peinture que fait l'auteur de siècles de déliquescence sur fond de guerres raciales et de classes. En somme, André David est le nom d'un jeune auteur à suivre, car ce deuxième roman, sans être exempt de défaut, est un bon indicateur d'un talent qui ne demande qu'à mûrir.