Il arrive à Charles Phillips de se poser des questions : pourquoi n'y a-t'il plus que cinq villes, sur des continents aux contours modifiés ? On est au cinquantième siècle, d'accord, mais après quoi ? Il ne sait pas, personne n'a l'air de savoir ni de s'intéresser aux réponses : ni les citoyens, comme sa compagne Gioia, ni les temporaires, qui sont uniquement là pour servir, de toute façon. Lui n'est ni l'un ni l'autre, lui est un homme prélevé à New York en 1984, et il ne sait pas trop quel est son statut à part celui d'être le compagnon de Gioia. Et cela n'est même plus vrai à partir de leur visite à Xi'an, quand Gioia le "donne" à Bélilala et s'enfuit.
A partir de là, Charles va rechercher les réponses, parce que c'est Gioia qu'il aime, et qu'il veut retrouver.
On comprend que cette belle novella ait figuré parmi les textes préférés de son auteur, et qu'elle ait été primée. En effet, elle met en scène ce thème cher à Silverberg de l'immortalité, et plus généralement la persistance dans le temps, donc la mémoire, pour le fond. Pour la forme, on retrouve le mélange des genres familier aux lecteurs et lectrices de l'auteur : honnêtement, à part les références fugaces à une disparition catastrophique des civilisations terriennes passées, et les robots qu'on voit au travail, elle pourrait quasiment être classée en fantasy, avec les chimères et autres hippogriffes.
On retrouve aussi ce ton inimitable, nostalgique, onirique, même si les références au poème de William Butler Yeats qui est au fondement de cette novella seront sans doute davantage perceptibles pour les lecteurs et lectrices anglophones. L'interrogation sur la nature du réel et sur ce qui définit l'humanité est un thème familier en science-fiction, et elle est ici incarnée à la fois par Charles Phillips et Gioia, tout comme d'ailleurs la représentation des limitations sociales que chacun.e de nous intègre sans s'en apercevoir.
C'est la première fois que cette histoire est offerte au public français seule, et non incluse dans un recueil de textes courts, comme ç'avait été le cas depuis sa traduction en 1987, et vraiment elle mérite amplement cette distinction. C'est une très bonne idée de la part du Bélial' de l'inclure dans cette excellente collection où elle sera un joyau de plus à découvrir pour un lectorat qui n'aurait pas encore eu l'occasion de la lire, ou qui n'aurait pas souhaité lire tout un recueil de nouvelles.