Depuis l'arrestation, suivie d'un temps d'emprisonnement, de son père adoptif, Gabrielle ronge son frein : loin d'aller étudier la musique au Conservatoire d'Istanbul, elle est une bonne sous-payée chez les Kerdoncuff. Les seuls points positifs de sa vie sont de jouer du piano pour ses employeurs, de voir son père discrètement, et de consulter nuitamment l'ordinateur de M. de Kerdoncuff pour y lire les textes républicains de Régis Leclerc.
Dans cette Histoire alternative, le roi Louis XXI est au pouvoir : la révolution de 1789 a avorté, la noblesse a tous les pouvoirs, quoique soumise bien sûr à la famille royale. Le peuple, lui, est gardé dans son ignorance et sa misère, et surtout les femmes réduites au rôle de ventres. Rien ne représente autant cet état de fait que l'émission Noblesse oblige, qui voit une poignée de jeunes et belles roturières présentées à autant de fils de la noblesse célibataires, devant les caméras. Si on ne peut pas vraiment parler de télé-réalité, cette émission s'en rapproche vraiment, avec ce sondage permanent quant à la popularité des différentes candidates.
Choisie pour y participer, Gabrielle accepte dans le but de découvrir ce qui est véritablement arrivée à la jeune Capucine de Léon, morte trois mois plus tôt dans des circonstances suspectes. A cet effet, elle est équipée d'un médaillon contenant un enregistreur et une pilule de poison. Il est entendu avec son réseau de révolutionnaires qu'elle sera exfiltrée dès qu'elle aura réussi sa mission. Mais à Versailles rien ne se passe comme prévu, et elle se rend compte rapidement que le jeu qu'elle joue a des enjeux bien supérieurs à ce qu'elle imaginait. La toute jeune femme est prise en étau entre deux forces aussi impitoyables l'une que l'autre, car les révolutionnaires ne reculeront devant rien pour éliminer la monarchie.
L'idée de départ n'est pas inédite, mais n'en reste pas moins prometteuse, et à ce titre je comprends que le roman ait été primé. Les personnages principaux sont suffisamment peu nombreux pour être tous caractérisés, et l'évolution de Gabrielle qui perd peu à peu sa naïve innocence est bien menée. Même si les adolescent.es et jeunes lecteurs et lectrices sont le principal public des émissions de télé-réalité, et à ce titre les premiers destinataires de ce rappel que ce qui se passe devant les caméras n'a que de lointains rapports avec la réalité, il n'en reste pas moins que ce roman me paraît bien trop violent pour ce public.
Âmes sensibles de tout âge, abstenez-vous, mais au moins les adultes pourront-ils garder une distance et lire avec (un relatif) détachement les scènes de torture ou de viol qui parsèment le roman. En revanche, il pourra leur manquer des informations plus substantielles sur ce qui se passe politiquement dans le reste du monde, et sur l'état des techniques dans cet univers : il est question de voitures ou de cargos, par exemple, mais c'est presque tout ce qu'on sait. De la même façon, on voit un ordinateur, des caméras et enregistreurs miniaturisés, mais le support utilisé pour stocker les images semble être les cassettes...
La façon dont Gabrielle gère son stress ou son angoisse, grâce à des morceaux de musique qu'elle rejoue dans sa tête, est originale et vraiment bien écrite. La progression de sa découverte de la vérité derrière les apparences, et par voie de conséquence, la montée de l'angoisse, sont aussi excellentes, et contribuent à faire de ce roman un page turner particulièrement efficace. N'étant pas fan de romance, j'ai bien apprécié en voir détourner les codes pour nous livrer quasiment une histoire d'horreur.
En somme, une lecture en demi-teinte pour ma part, mais qui me laisse toutefois curieuse de la suite.