En 1966, à soixante-quatre ans, Max Costa est rangé : il est le parfait chauffeur du Dr Hugentobler, et vit paisiblement depuis trois ans en Italie. Un jour, après le départ de son patron pour quelques jours, il lui semble reconnaître dans les rues de Sorrente une femme qu'il a très bien connue. Renseignements pris, elle est là pour accompagner son fils qui doit participer à un tournoi d'échecs contre Mikhaïl Sokolov, le grand champion soviétique. Inutile de dire qu'en pleine guerre froide, les enjeux sont aussi grands en-dehors de l'échiquier que dessus.
Suite à un pari avec Ravel, le compositeur Armando de Troeye et son épouse, la belle Mecha Inzunza, partent pour l'Argentine afin d'en ramener un tango original. Sur le Cap Polonio, un jeune Max Costa de vingt-six ans est danseur mondain, et il est admiratif non seulement de la beauté mais aussi des qualités de danseuse de Mecha. Il est aussi très intéressé par son superbe collier de perles, mais ça, il ne va pas le leur dire. Natif de Buenos Aires, il accepte, sur l'insistance du compositeur, d'emmener le couple dans un bar louche où est joué, et dansé, le vrai tango, celui des "jeunes gens d'autrefois", celui de "la Vieille Garde".
Près de dix ans plus tard, en 1937 à Nice, Max Costa est "embauché" de mauvais gré par les services secrets de l'Italie fasciste pour dérober dans un coffre-fort des lettres compromettantes signées du gendre de Mussolini. Le soir où il est invité à un dîner dans la maison en question, il a la surprise plutôt désagréable d'y rencontrer Mecha qui, le connaissant, le soupçonne immédiatement de projeter un mauvais coup. Ils renouent néanmoins leurs liens, et c'est vers elle que Max se dirigera quand il sera blessé dans les conflits entre services secrets.
Les lecteurs et lectrices fidèles de l'auteur reconnaîtront sans aucune difficulté son style d'écriture et ses personnages complexes, en multiples nuances de gris, où le regard aigu n'empêche pas la tendresse. Il y a quelque chose en Max du Corso de Club Dumas, bien sûr, avec ses airs de vieux loup fatigué, mais aussi de tous ces autres personnages de son œuvre qui ont jeté les dés une dernière fois, vu la chance se tourner contre eux, et ont haussé les épaules en s'éloignant.
Ce qui est particulier dans ce roman, c'est l'atmosphère crépusculaire qui s'en dégage. En effet, Max finit sa vie dans un monde très différent de celui où il l'a commencée, et il s'y adapte mal. Dans cet univers de brutes sans envergure et sans honneur, quelle place reste-t'il à un "parfait gentleman" ? L'auteur réussit le tour de force de montrer les deux mondes en entrelaçant les lignes temporelles de son histoire sans jamais faire tomber son personnage dans les récriminations, ni dans des regrets tout aussi vains. C'est au lecteur d'entrevoir entre les lignes le fantôme d'un monde disparu.
La construction est parfaite, alternant deux trames temporelles dans la plus grande part du roman, l'une étant celle du "présent" de la vieillesse des deux personnages centraux, et l'autre se déroulant à l'époque de l'une de leurs rencontres passées. Les personnages secondaires, qu'il s'agisse du compositeur Armando de Troeye, des multiples employés d'hôtel ou de maison, ou du jeune Jorge Keller, sont remarquablement crédibles, bien que caractérisés en seulement quelques traits. Les deux personnages principaux ont toujours eu des rapports compliqués, notamment à cause de l'écart entre leurs classes sociales, et la méfiance ancrée en Max de longue date envers les femmes de "la bonne société", mais aussi de l'orgueil de chacun d'entre eux. La peinture de ces rapports, et de leur évolution, est à mon sens le véritable sujet du roman, et particulièrement réussie.
En somme, c'est là un autre excellent roman d'un auteur au sommet de son art, original dans ses intrigues et très personnel dans leur écriture, et je ne peux que le recommander chaudement.
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