Les Chroniques de l'Imaginaire

Odyssée des filles de l'Est - Gueorguieva, Elitza

Pressée de rédiger mon retour de lecture, d’emblée après avoir tourné la dernière page de ce livre, tellement j’ai adoré l’histoire et le style d’écriture qui oscille entre la justesse sociologique d’une enquête de terrain et une plume foncièrement mordante mais légère et drôle à la fois.

On suit l’arrivée en France, et plus particulièrement à Lyon (héhé) de deux femmes bulgares dans les années 2000. Tandis qu’Elitza (l’autrice), jeune étudiante à la fac de cinéma en quête d’intégration et férue de films de la Nouvelle Vague, s’émerveille de petits riens dans une France fantasmée, sa comparse Dora, quarante-quatre ans, amenée à son insu à se prostituer, lui oppose une réalité bien plus brutale.

Au gré de leurs tribulations tragi-comiques sur environ 180 pages, les deux femmes s’élancent avec résilience à la conquête de leur liberté en déjouant les pièges de bons nombres de clichés. Tout n’est pas fabuleux comme la destinée d’Amélie Poulain, les hommes sont parfois lâches, égoïstes ou violents, il y a pas mal de drogues (et de MST) mais aussi de jolies rencontres, beaucoup de courage et une lumière qu’on a plaisir à suivre avec l’audace de la jeunesse et de celles qui n’ont plus rien à perdre.

J’ai eu l’impression de retrouver un peu de Virginie Despentes (qui est aussi passée par Lyon à ses débuts, me semble-t-il) avec cette dose massive d’humour décapant pour traiter de sujets de fonds sérieux, actuels et parfois sinistres tels que l’immigration, les réseaux de prostitution en France et le trafic d’êtres humains.

Les nombreuses listes parsemées au fil du livre, la liste aux merveilles, la liste des compétences pour être naturalisée, la liste des objectifs pour s’intégrer, les erreurs de français (comprendre laissez-pisser pour récépissé), les fréquents quiproquos langagiers (la place d’Hétéros au lieu de la place des Terreaux) et le recours récurrent au Grand Larousse de poche et à son frère cadet le Petit Larousse du savoir-vivre sont autant de respirations qui amènent à rire franchement au vu de certaines situations.

Il y a beaucoup d’auto-dérision et cette tournure participe grandement à déconstruire avec intelligence et second degré les maints poncifs que l’on pourrait avoir tant sur les filles de l’Est que sur les travailleuses du sexe (et sur la France aussi au passage puisque finalement nous ne sommes pas « le pays des pieds-qui-puent et des petites-bites »).

Je ne sais pas si Elitza Gueorguieva filme comme elle écrit mais elle s’immisce dans tous les interstices pour découper le monde, en choisir les séquences pertinentes les plus vivables et ainsi nous offrir une des perspectives du réel qui l’entoure. 

C'est clairement une expérience transnationale violente et crue, presque comme un filtre un peu trash-punk typique des années fin 90/début 2000, avec des vestes en cuirs, les Bérus et la clope au bec, qui rend nostalgique (alors même que clairement je n’étais pas dans la team) parce qu’au-delà de la violence, ce livre est profondément humain. Et quand bien même je me suis fait spoiler au hasard d'une ligne la fin de Pierrot le Fou, j’ai véritablement adoré vivre avec et à travers ce livre. Merci pour ce grand morceau de vie et ce très bon moment de lecture ! 

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