Les Chroniques de l'Imaginaire

Tonnerre après les ruines - Soulas, Floriane

Après sa fuite désespérée de Tonnerre, Lottie est devenue pisteuse. Dans ce monde de communautés isolées, séparées par des jours de marche dans une contrée dévastée et sillonnée de malebêtes dangereuses, elle escorte des caravanes. Son travail est devenu plus facile et plus agréable depuis qu'elle est accompagnée de Férale. En effet, celle-ci, entre autres traits particuliers, a des sens sur-développés qui leur permettent d'être averties de la présence du danger assez en avance pour protéger leurs clients et élaborer une stratégie. Malheureusement, les particularités physiques de Férale font que les gens qu'elles escortent la traitent de monstre et supportent mal sa présence : Férale a des yeux jaunes, est émaciée, et ne supporte comme nourriture que les lanières de viande préparées par Lottie.

Les membres du cirque qu'elles accompagnent sont pires que d'habitude, et comme ils ont le projet de passer par Tonnerre, ce que Lottie refuse catégoriquement de faire, elles décident de les quitter après les avoir amenés à Vieille Pierre. Mais la communauté qui vit là leur demande leur aide pour se débarrasser de malebêtes différentes, d'une extrême violence et difficiles à éliminer. Il s'avère qu'il s'agit apparemment d'une nouvelle sorte de maladie, ou de mutation, qui donne aux infectés des yeux jaunes et des déformations de la mâchoire suite à la pousse de dents surnuméraires. Les deux femmes accomplissent leur mission, mais Lottie a le choc de découvrir parmi les malades l'un de ses anciens amis, qui lui demande instamment d'aller à Tonnerre pour y protéger sa compagne.

Alors qu'elles quittent Vieille Pierre, elles sont rejointes par Rose, une habitante du village qui veut retrouver sa soeur Debbie, partie à Tonnerre sur la foi des rumeurs qui affirment qu'il s'y trouve des médecins pouvant soigner les nouvelles maladies, et que la Sélection offre la possibilité aux extérieurs d'entrer dans la ville protégée. Face à l'insistance des deux jeunes femmes, car Férale aussi aimerait aller à Tonnerre pour essayer d'y découvrir des gens comme elle, ou l'explication de ses particularités, Lottie finit par céder et diriger leurs pas vers les ruines qui entourent la tour protégée.

L'écriture très visuelle et vivante de Floriane Soulas donne à ses lecteurs et lectrices accès à ce monde en ruines, dévasté par des hivers nucléaires, où la cendre est partout, comme d'ailleurs les mutations, où les pluies sont acides et où les humains survivent de plus en plus difficilement. Toute idée de culture, dans tous les sens de ce terme, y est inenvisageable, les moindres vestiges ou outils les plus humbles (lacets, clous...) sont monnayables. Par contraste, l'intérieur de Tonnerre ne peut que sembler un paradis à Férale, qui n'avait jamais eu la possibilité d'en imaginer l'existence. Ce contraste est très habilement amené, et donne les clés pour expliquer les actions de la jeune femme du moment qu'elle rencontre Naomi ou les autres personnages de Tonnerre et du bidonville qui l'entoure.

Ce monde dur, sombre et ravagé est habité de personnages qui lui ressemblent. Le thème du monstre est omniprésent : qui est le monstre ? Qui décide qu'on est un monstre ? Naît-on un monstre ? En est-on un suite au regard des autres ? Quelle est la différence entre le mutant et le monstre ? Toutes ces questions sont sous-jacentes à l'histoire, et des réponses variables leur sont apportées, selon les personnages et leur regard sur ceux qui sont différents, non seulement Férale, mais aussi les enfants-foudre, envahis d'énergie électrique, qui alimentent les appareils électriques de Tonnerre mais sont considérés comme des objets.

Le thème de la science est aussi interrogé, sur ses limites, sur les autorisations qu'elle peut s'octroyer, sur le traitement de ses cobayes. Certes, ici on ne voit guère la science que sous l'aspect de la médecine, et le personnage de Naomi évolue de façon terrifiante, mais il n'empêche que tous les Tonniens ont bénéficié pour leur confort de l'utilisation d'enfants esclavagisés sans paraître protester, pour ne rien dire du traitement de Lottie par ses parents adoptifs. Ce thème est inséparable de la peinture des rapports entre Tonnerre proprement dite et le bidonville qui l'entoure. De plus en plus, il semble que la balance s'est déséquilibrée en ce que l'extérieur de la ville-bunker lui fournit des informations et des cobayes en recevant toujours moins en retour. Si ce thème n'est pas une nouveauté dans le genre, son traitement ici est central, ce qui lui donne une acuité bienvenue.

Enfin, le thème de la maternité et plus généralement de la parentalité, biologique ou pas, est au coeur de l'histoire et explique bien des actions de Lottie, Férale ou Louka. Tous les personnages sont puissants, bien caractérisés, crédibles, jusque dans leurs transformations les plus extrêmes, qui ont une sorte de folle logique, si on prend en considération le désespoir inhérent à ce monde en déliquescence, où l'espoir en un avenir meilleur ne peut être qu'un mirage excessif.

En somme, c'est un roman puissant, bien écrit, et qu'à ce titre je ne peux que recommander, au moins à ceux qui ont le coeur et l'estomac bien accrochés, car certains passages sont quasi-insoutenables, et qui ne craignent pas d'avoir leur moral plombé durablement. Encore une fois, même si, quelque part, c'est une quête d'identité, un roman de passage à l'âge adulte, d'accession à la maturité, pour Férale et Rose surtout, c'est à mon avis à réserver absolument aux adultes.

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