Après avoir fui l'Iran, Mansoureh Kamari pose ses valises en France en 2011 où elle est acceptée à l'école des Gobelins. Elle a depuis fait ses preuves dans le cinéma d'animation. En septembre, elle publie son premier ouvrage de bande dessinée chez Casterman : Ces lignes qui tracent mon corps.
Il s'agit d'un récit autobiographique dont le point de départ est ces moments pendant lesquels Mansoureh Kamari posait nue. A travers les fenêtres, elle pouvait regarder les branches se balancer. Immobile, les yeux tournés vers le ciel, elle laissait ses pensées vagabonder. Dans l'album, ces séances de poses sont la passerelle vers le passé de l'Iranienne. Alors que chaque parcelle de son corps est exposée au regard des dessinateurs, elle se souvient qu'à neuf ans, la cérémonie de son jashn-e taklif l'a fait passer de l'enfance à l'âge adulte. Finis les jeux devant la maison, le hijab la rappelle à son statut de laissée-pour-compte.
Elle se souvient de sa mère et de ses six enfants, qui la clouaient à demeure. Des moments où elle s'isolait pour pleurer dans le coin obscur d'une pièce. De ce père si terrifiant, qui battait sa fille si bien que son corps était recouvert d'hématomes. Là-bas, en Iran, le quotidien n'était que peur, interdits et injustices. En dépit des diktats du régime islamiste, dans lesquels d'aucuns se coulent pour mieux supporter le désespoir, Mansoureh ne pouvait accepter ce qui lui était imposé. Sans révolte, sans ostentation, elle résistait à sa façon. En lisant, en se donnant à celui qu'elle avait choisi, en allant au cinéma, en dessinant. En cachette.
L'artiste ne se veut pas héroïne, elle tentait juste d'exister dans cet Etat qui lui interdisait d'avoir sa propre voix. Elle la partage avec nous aujourd'hui de la plus belle des manières, avec son talent, immense. Son album a des allures de récit cinématographique, car elle adopte des prises de vue qui rappellent celles des films, en format paysage. L'impression est d'autant plus frappante que Mansoureh Kamari est extraordinairement douée pour restituer les expressions des visages. Les scènes dans lesquelles la petite fille a peur sont glaçantes. Les traits sont délicats, les tons dans des nuances de gris très travaillées et l'agencement des cases est d'une précision millimétrée. Graphiquement, Ces lignes qui tracent mon corps est une pure merveille.
Le récit de Mansoureh Kamari n'est pas en reste. Le choix de la narration, qui alterne le présent et le passé, entre le Paris moderne et libre et l'Iran sombre et rétrograde, est d'une grande justesse. La scénariste nous invite dans son monde dichotomique, d'un côté petite fille recroquevillée, de l'autre jeune femme libre de poser nue. Même si cet emploi ne relevait pas pour l'artiste d'une revanche mais seulement d'une volonté artistique, pouvoir le faire, choisir d'exister, représente pour le lecteur un acte d'autant plus fort que Mansoureh était destinée à ne jamais y prétendre.
Ces lignes qui tracent mon corps n'a pas vocation à être un plaidoyer politique ou féministe. Il est le récit autobiographique d'une femme iranienne qui nous livre son histoire avec sincérité. Néanmoins, il fait partie de ces ouvrages que l'on a envie de partager autour de soi pour rappeler ce que parfois, quelque part, cela implique de naître femme.
Un album à découvrir sans plus attendre.
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