L'histoire commence précisément là où la précédente s'était arrêtée : avec Kim et Brock non loin des cavernes où sont emprisonnés les Géants, cependant que le lien de Leïla avec Finn permet de suivre la bataille durant laquelle Ceinwèn est intervenue. Bien sûr, l'action avance à partir de là, et comme Kim va sillonner Fionavar d'Est en Ouest, et jouer un rôle majeur dans les événements à venir, les lecteur.ices seront amené.es sur tous les champs de bataille.
Et des batailles, il y en a ! Toutes n'impliquent pas des armées entières, certaines se jouent sans arme, mais les blessures qu'elles peuvent infliger n'en sont pas moins réelles. D'une certaine façon, on pourrait dire que la quasi-totalité de ce gros volume leur est consacrée. Et ça tombe bien, car l'auteur y excelle, tant dans les duels que dans l'énorme bataille finale qui implique tout Fionavar.
Le thème de l'évolution personnelle, sous la forme du sacrifice ou de la rédemption, est à mon avis le fil rouge de ce roman. Il avait été abordé déjà dans le roman précédent, avec les événements de Cadèr Sédat qui ont transformé profondément Matt, Loren et leur relation, mais il s'applique ici à bien d'autres, à commencer par les Paraïko, mais aussi à Diarmuid, Finn ou Darien, l'exemple majeur de rédemption étant bien sûr Galadan. On retrouve aussi, au premier plan cette fois, le questionnement autour des moyens et de la fin : jusqu'où peut-on utiliser des moyens ténébreux pour servir la Lumière ? Et comment supporter les conséquences si on refuse de le faire, et que quelqu'un d'autre paie le prix ? Ce sont toutes les questions portées par Kim, davantage encore dans ce roman que dans les précédents.
Les personnages sont le point fort ici comme dans les tomes précédents. Ils sont profondément humains, complexes et cohérents, et les dons accordés dans la Tapisserie aux Paraïko m'ont paru originaux et bien pensés, comme leur réaction à en être privés. J'aimerais en dire plus sur le devenir du trio légendaire mais je ne veux surtout pas divulgâcher ce qui leur arrive.
Alors, certes on peut dire que dans cette trilogie, il y a trop de tout : trop d'espèces différentes, sans oublier les dieux et demi-dieux, trop d'objets magiques, et trop de références à des légendes existant dans notre culture. Mais Kay en fait quelque chose de cohérent et d'infiniment personnel. On pourra le constater d'ailleurs dans ses romans successifs : pour n'en citer qu'un exemple, l'affrontement entre les armées se retrouvera sous des formes diverses dans Les Lions d'Al-Rassan (avec d'ailleurs le duel qui le précède, dans une version encore plus déchirante), dans Tigane, dans La chanson d'Arbonne... La particularité de la bataille présente ici est son lien évident avec celle écrite par Tolkien qui se déroule devant les portes de Mordor dans Le retour du Roi, mais à mon avis cela clôt en beauté la question de "l'influence" du grand auteur britannique. Car en effet il y a ce parallèle, et d'autres, mais avec certains des mêmes ingrédients, Kay a fait quelque chose de différent.
Ses lecteurs et lectrices fidèles reconnaîtront dans cette première oeuvre son style inimitable, entre nostalgie omniprésente et traits d'humour léger, qui se retrouvera dans ses oeuvres suivantes. Démontrerait-il ainsi la primauté de Fionavar sur tous les autres mondes ? Peut-être, pour ce qui le concerne, en tout cas. Quoi qu'il en soit, que vous ayez déjà lu d'autres choses ou pas de cet auteur, cette trilogie est à mon sens un must, en ce qu'elle permet de le découvrir tel qu'il était à ses débuts, mais aussi et surtout parce que c'est une oeuvre plus originale qu'elle ne pourrait le sembler à première vue, et passionnante si on consent à s'y laisser embarquer.
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