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Searoad - Le Guin, Ursula K.

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Texte éclaté, pas vraiment un roman, pas tout à fait des nouvelles puisque toutes se déroulent dans le même lieu, et soit dans le même temps, soit se font écho d'un temps à l'autre, cet ouvrage de fiction enfin traduit en français me paraît assez représentatif de l'art de l'autrice, surtout dans ses dernières années. C'est vrai dans les préoccupations décrites, et ce l'est aussi dans la forme, qui rappelle que Le Guin était, d'abord et avant tout, une poétesse. C'est particulièrement évident dans le premier texte Femmes d'écume, femmes de pluie, où l'on voit des êtres aqueux, qui se dissolvent soit en s'écroulant peu à peu sur le sable, soit en s'évaporant vers les montagnes qui bornent le village. Tout se passe à Klatsand, un village au bord du Pacifique, dans l'état d'Oregon, et la route dont il est question longe la mer, dont la présence imprègne les pages.

On retrouve les thèmes chers à l'autrice : les différences entre hommes et femmes, qu'elles soient intrinsèques aux genres eux-mêmes qui éprouvent la vie de façon différente, ou liées à une civilisation où les hommes sont toujours au pouvoir, d'une façon ou d'une autre ; la façon dont les peuples autochtones ont disparu avec leur milieu naturel, et les animaux avec lesquels ils vivaient en harmonie ; la difficulté de trouver une expression de son identité, quand celle-ci n'est pas conforme aux attentes sociales, comme dans Bill Weisler.

Dans plusieurs chapitres (nouvelles ? Cet aspect indéfini est pour moi fascinant, mais peut troubler), on voit l'importance accordée primordialement aux hommes, cependant que les femmes qui les entourent sont oubliées, par exemple dans Navire en vue, où Rosemarie fait tenir le motel que son compagnon a voulu acquérir, et dont il prétend s'occuper, alors qu'elle rêverait de consacrer du temps à ses propres centres d'intérêt, dans La main, la coupe et le coquillage, où une doctorante venue interviewer la veuve d'un homme connu ne peut pas poser les questions que lui avait notées son directeur de thèse, dans Les somnambules où un écrivain homme ne peut même imaginer que les femmes qui l'entourent dans le motel où il réside puissent avoir une vie autre que banale, ou dans La maison Herne, le texte le plus long, partiellement autobiographique, qui présente plusieurs façons dont les femmes successives peuvent exister par elles-mêmes.

C'est un recueil sur les lieux et les temps de passage, de transition, un entre-deux comme la plage est entre mer et terre, comme l'écume est entre vague et restes secs. Il est par exemple question de la vieillesse, et du passage entre l'âge adulte et celle-ci, notamment dans le drôlatique Les petits vieux. Dans ce même texte, on voit aussi la différence entre les résidents, qui occupent Klatsand de façon permanente, et ceux qui ne font que passer, notamment l'été qui apparaît dans Le grand amour. Toujours dans le thème des passages, il est beaucoup question de la mort et du deuil, plus ou moins difficile selon les rapports qu'on entretenait avec la personne disparue, comme dans Mots croisés, mais aussi dans Quoits ou dans Intérieur extérieur.

L'écriture de Le Guin s'est épurée au cours de sa carrière et de sa vie. Elle démontre ici de façon magistrale sa capacité à écrire sur le "presque rien", sur la banalité du quotidien, sur les petits gestes qui constituent la vie de tous les jours : nettoyer une pièce, manger, désherber, aller se promener... Tout fait sens, tout fait trace, si on y prête attention, comme la protagoniste de Textes. C'est très beau, c'est très pénétrant, car le regard de l'autrice est toujours aussi affûté pour voir les dommages faits à la nature ou aux femmes qui ont inspiré ses textes, et son style toujours aussi aiguisé pour les écrire.

Si vous êtes fan de Le Guin, je suppose que vous avez déjà acquis l'ouvrage, ou qu'il est dans votre liste de cadeaux souhaités. Si vous connaissez une personne allergique aux genres de l'imaginaire et qui de ce fait a toujours refusé d'ouvrir un roman de l'autrice, celui-ci est une indication parfaite pour la lui faire découvrir. Si vous voulez comprendre pourquoi Le Guin est considérée aux Etats-Unis comme une écrivaine de premier plan pour l'ensemble de son œuvre, cet ouvrage pourrait vous en donner une bonne idée. Quel que soit votre motif pour le lire, tant que vous ne vous attendez pas à des aventures héroïques sur une planète lointaine, je vous le recommande chaudement.

Editeur : Rivages
Lien présentation éditeur : https://editions-rivages.fr/catalogue/searoad-020347
Année de publication : 2025
Maison d'édition d'origine : Ginger Clark Litterary LLC
Année de 1e publication VO : 1991
Nombre de pages : 304
Langue originale : Anglais (USA)
Traducteur : Collon, Hélène
ISBN 13 : 978-2-74366835-8
ISBN 10 / ASIN : 2743668350
Prix : 23
Devise : €
Autre format disponible : EPUB
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